Chercher dans le dictionnaire

Droit social

Alexandra Caplazi

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

Le droit social est la traduction juridique d’objectifs de politique sociale. La politique sociale sert à réaliser la sécurité et la justice sociales. Du point de vue de l’État, la redistribution et l’égalité des chances contribuent à la paix sociale et à la stabilité politique. Le droit social protège les individus des conséquences matérielles que peuvent entraîner des risques sociaux. À cette fin, il a pour objet les droits individuels à l’obtention de prestations sociales. Il garantit que la validité et les conditions d’octroi des prestations sociales soient ancrées dans le droit et ne soient pas tributaires d’opportunisme ou de décisions politiques arbitraires.

Dans un État devant offrir à chacun un cadre de liberté individuelle aussi large que possible, des inégalités naissent des différences entre les individus. Le droit social intervient là où il est nécessaire de protéger le plus faible. Il vise à assurer la justice sociale au sein d’un système économique et juridique qui privilégie et récompense les performances tout en ayant tendance à négliger celles et ceux qui ne sont pas à même de remplir ses exigences. La justice sociale exige la solidarité dans le respect de la liberté, c’est-à-dire des liens réciproques et une responsabilité collective vis-à-vis des personnes qui ne peuvent subvenir seules à leurs besoins. Le droit social établit les conditions nécessaires pour que chaque individu puisse mener une existence digne, participer à la vie en société et être ainsi en mesure de développer librement sa personnalité.

Le droit social suisse découle de l’ensemble des dispositions sociales de la Constitution fédérale et des constitutions cantonales, ainsi que de leur mise en application au niveau légal et dans la jurisprudence du Tribunal fédéral. S’il fallait scinder le droit social en plusieurs catégories, on pourrait distinguer le droit des assurances sociales, le droit de l’aide sociale et la législation sociale. Cette dernière inclut certaines réglementations issues de domaines juridiques ne visant pas directement la protection des plus faibles, comme le droit du travail, de la famille, le droit pénal, fiscal ou encore procédural.

Les buts sociaux énoncés à l’article 41 de la Constitution fédérale constituent les fondements essentiels du droit social en Suisse. Ces objectifs, axés sur les besoins humains élémentaires, constituent une liste des buts de la politique sociale. Ils chargent la Confédération et les cantons de prendre des mesures en matière de sécurité sociale, de santé, d’emploi, de logement et d’éducation et ce, en complément des responsabilités individuelles et des initiatives privées. Les objectifs sociaux doivent être réalisés avec les moyens disponibles. Aucun droit subjectif à des prestations de l’État ne peut être déduit directement de ces objectifs sociaux. Ces derniers doivent en revanche être pris en compte dans le cadre de l’application des lois en vue de leur interprétation. Ils laissent une marge de manœuvre permettant de réagir de manière ouverte et souple aux défis sociopolitiques.

Plus précisément, les objectifs sociaux chargent les instances politiques de veiller à ce que tout individu bénéficie d’une protection juridique contre les conséquences matérielles des risques sociaux tels que la vieillesse, l’invalidité, la maladie, les accidents, le chômage, la maternité, le fait de devenir orphelin ou le veuvage. La Confédération et les cantons assurent à tous l’accès à des soins médicaux de base suffisants de grande qualité. La santé relève de la responsabilité des cantons et le droit de chacun à bénéficier des soins nécessaires doit être respecté. Toute personne active doit pouvoir subvenir à ses besoins par un travail exercé dans des conditions équitables. Ce mandat comprend une politique de plein emploi, le libre choix de la profession et du poste de travail et l’exigence que l’activité professionnelle et le salaire permettent à chacun de gagner décemment sa vie. La Confédération encourage la construction de logements et l’acquisition de propriétés immobilières ; elle protège ses citoyennes et citoyens des abus dans le secteur locatif afin que chaque individu et chaque famille puissent trouver un logement décent à des conditions acceptables. Les enfants, les adolescent·e·s et les personnes en âge de travailler doivent être en mesure de se former et de se perfectionner, en fonction de leurs capacités. La Confédération et les cantons veillent ensemble à la qualité et à la perméabilité de l’espace éducatif suisse. L’éducation contribue de manière substantielle au développement de la personnalité. Elle n’est pas seulement la base d’une vie autonome, mais aussi la condition essentielle à l’exercice des droits politiques garantis par le droit constitutionnel. L’éducation poursuit aussi des fins économiques, notamment la formation d’une main-d’œuvre qualifiée de bonne qualité.

Les droits sociaux fondamentaux exécutoires garantis par la Constitution comme le droit à une aide en situation de détresse, le droit à un enseignement de base, le droit à l’assistance judiciaire gratuite ainsi que le droit à la protection de l’enfance et des adolescents constituent une partie importante du droit social. Les dispositions constitutionnelles ne visant pas directement le droit à des prestations mais comportant néanmoins un volet social sont le droit à la liberté personnelle, la protection de la vie privée, le droit au mariage et à la famille, la liberté de réunion, le libre choix d’une profession et le libre exercice d’une activité professionnelle. Enfin, un refus arbitraire d’octroi de prestations viole le principe général d’égalité des droits et l’interdiction de discrimination.

Les traités internationaux sur les droits humains ratifiés par la Suisse ont eux aussi une influence sur le droit social national. La teneur de la codification du droit du travail de l’Organisation internationale du travail (OIT) et les garanties apportées par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte I) se traduisent dans les dispositions légales nationales grâce à des interprétations du droit national conformes au droit international. La Suisse n’ayant pas ratifié le protocole facultatif au Pacte I en matière de procédure individuelle de recours, il n’est pas possible de déposer auprès du comité de l’ONU compétent une plainte pour violation des obligations de l’État édictées par le Pacte I de l’ONU. La Suisse n’a pas non plus ratifié la Charte sociale européenne ni sa version révisée.

Les obligations issues des accords bilatéraux sur la libre circulation des personnes signés avec les États membres de l’UE font aussi partie du droit social. Il s’agit, d’une part, des obligations relevant du droit international et, d’autre part, du droit social de l’UE (p. ex. les dispositions relatives à l’accès non discriminatoire aux prestations de sécurité sociale ou la Charte des droits fondamentaux de l’UE).

De nombreux cantons ont adopté dans leur constitution des buts sociaux propres (Berne : favoriser la compatibilité entre vie professionnelle et familiale ; Fribourg : droit des personnes âgées à la participation et à la qualité de vie) et d’autres droits fondamentaux de nature sociale (Genève : droit au logement ; Bâle-Ville : droit à l’accueil extrafamilial pour enfants ; Berne : droit des enfants et des victimes de délits graves à une protection et une assistance particulières ; Vaud : droit à des soins médicaux essentiels et au soutien nécessaire pour atténuer un état de souffrance, droit des femmes à leur sécurité matérielle avant et après l’accouchement, droit à une aide de l’État pour une formation professionnelle initiale). Ces mesures reflètent davantage l’évolution des objectifs de l’État social que la Constitution fédérale. Une compétence centrale des cantons est la législation sur l’aide sociale. Elle comprend les prestations subsidiaires dans le système global de la sécurité sociale. Si des risques sociaux et leurs conséquences matérielles ne peuvent pas être couverts (ou pas suffisamment) par une autre institution étatique, alors l’aide sociale cantonale est tenue d’assurer « l’ultime filet » de sécurité permettant une vie digne. Parmi les autres compétences cantonales, retenons aussi les allocations familiales, les prestations complémentaires pour familles, les aides financières à l’accueil extrafamilial pour enfants, les indemnités journalières octroyées aux chômeur·euse·s en fin de droits, l’aide aux personnes âgées, la prise en charge en maison de retraite ou de soins, la promotion de la construction de logements sociaux, les allocations de logement ou encore les bourses d’études.

Références

Bigler-Eggenberger, M. & Schweizer, R. J. (2014). Art. 41 BV. In B. Ehrenzeller, B. Schindler, R.J. Schweizer & K.A. Vallender (Hrsg.), Die Schweizerische Bundesverfassung : St. Galler Kommentar (3. Aufl., S. 917-940). Zürich : Dike Verlag, Schulthess.

Eichenhofer, E. (2010). Sozialrecht (7., neubearb. Aufl.). Tübingen : Mohr Siebeck.

Meyer, U. & Siki, E. (2013). Bestand und Umsetzung der Sozialrechte in der Schweiz. In T. Gächter (Hrsg.), Ulrich Meyer. Ausgewählte Schriften (S. 3-34). Zürich : Schulthess.

Retour en haut de page