État social
Version originale en allemand
Dans un sens plus étroit, l’État social représente une nouvelle forme d’État démocratique qui s’est développée dans divers pays industrialisés après la Seconde Guerre mondiale et qui vise l’intégration sociale, la protection sociale et l’aide sociale à travers la régulation du capitalisme. Selon Gøsta Esping-Andersen, l’État-providence repose sur un petit nombre de décisions politiques centrales prises au milieu du XXe siècle ; explicables par les rapports de force politiques et les théories sociales prédominants, les États sociaux se sont développés dans les pays industrialisés comme des variantes de trois idéaux-types différents, dans lesquels prévalent des principes de protection sociale différents. Cependant, la notion d’État social est souvent utilisée de manière plus générale, comme un terme générique désignant la politique sociale d’un pays, pouvant impliquer des interventions étatiques de force variable et apparaître également dans des États non démocratiques.
Lors de la création de l’État fédéral suisse, les compétences législatives de la Confédération dans le domaine de la politique sociale étaient marginales, et les principes de l’État social se limitaient alors aux cantons, chacun ayant ses propres lois en matière d’assistance et de travail. Avec la révision de la Constitution fédérale en 1874, la Confédération est devenue responsable de la législation du droit du travail, et avec la loi sur les fabriques adoptée en 1877, la Suisse a endossé un rôle de pionnier à l’échelle mondiale dans la protection des travailleuses et travailleurs. Ce n’est qu’avec le développement des grandes assurances sociales au cours du XXe siècle que l’État social au sens strict a vu le jour en Suisse. L’élément décisif a été à cet égard la création de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS). Depuis 1948, des rentes AVS sont versées en Suisse, qui représentent une couverture universelle – bien que très modeste au départ – des besoins vitaux par l’État.
Les manières de concevoir la politique sociale et les structures de décision politiques, en particulier le fédéralisme et la démocratie directe, ont empêché une extension précoce et rapide de cette couverture. Pour tout domaine de la politique sociale devant être pris en charge par la Confédération, la Constitution devait lui conférer l’autorité législative correspondante. La voie qui a donné naissance à l’État social suisse devait donc passer par une centralisation des compétences législatives en matière de politique sociale. La modification de la Constitution, nécessaire à cette fin, a requis à chaque fois l’approbation de la majorité du peuple et des cantons. En outre, par le référendum facultatif, le peuple disposait également d’un droit de veto sur les lois mettant en œuvre le mandat constitutionnel. Dans certains cas, des délais considérables se sont par conséquent écoulés entre l’adoption du mandat constitutionnel et sa mise en œuvre juridique.
Au moment où, dans la structure institutionnelle suisse, des systèmes d’assurance et des réglementations d’ampleur nationale pouvaient réunir une majorité, des assurances privées ou des solutions cantonales très élaborées (p. ex. des caisses de compensation au sein des entreprises) étaient généralement déjà en place. Celles-ci ont donc préparé le chemin à une assurance sociale obligatoire ou à des prestations sociales harmonisées pour l’ensemble de la Suisse. L’État social suisse se distingue de ce fait par deux caractéristiques centrales : d’une part, le rôle indépendant des cantons et des communes dans de nombreuses questions de politique sociale, et de l’autre, le rôle marqué des organisations privées dans le traitement et le versement des prestations sociales fixées par l’État.
Non seulement les cantons s’occupent de la mise en œuvre des mesures de politique sociale de la Confédération, mais ils assument également un rôle d’États sociaux autonomes dans des domaines clés de la politique sociale. Différents cantons et certaines communes versent des prestations sociales spécifiques sous condition de ressources, notamment des prestations complémentaires pour les familles ou des aides en cas de chômage ou de dépendance. De plus, les cantons prélèvent la majeure partie des impôts directs et peuvent fixer leurs propres priorités en matière de politique sociale lorsqu’ils élaborent la base de calcul de l’impôt cantonal. Dans tous ces domaines, ainsi que dans l’organisation des prestations sociales (p. ex. garde d’enfants, conseil social, institutions sociales résidentielles, mesures du marché du travail, etc.), il existe des différences considérables entre les cantons et parfois aussi entre les communes d’un même canton. Par conséquent, les droits et réglementations peuvent varier en Suisse selon le lieu de résidence.
Outre les cantons et les communes, les organisations privées sont aussi des acteurs centraux de l’État social. Il s’agit d’entreprises privées, dont certaines sont à but lucratif, comme les caisses-maladie ou les caisses de pension, mais aussi de nombreuses fondations et associations comme les sociétés « Pro », qui fournissent des services de conseil social ou versent des aides d’urgence ou des aides sociales sur la base d’un mandat de prestations public. Le rôle des fondations et associations est si important que leurs prestations sont incluses dans les comptes globaux de la protection sociale (CGPS) et dans les statistiques sociales comparatives internationales.
La réorientation de l’État social vers l’activation et les investissements sociaux coïncide avec une importance croissante des prestations et services sociaux relevant de la responsabilité des communes ou des cantons ou délégués à des organisations non étatiques. La coordination des différentes prestations entre les différents niveaux de gouvernement et acteur·trice·s impliqués devient de plus en plus importante, mais aussi de plus en plus complexe. En même temps, il est difficile de doter l’État fédéral de nouvelles compétences dans ces domaines, comme l’a montré le rejet de l’article constitutionnel sur la politique familiale par la majorité des cantons en 2013.
Les traits fondamentaux de l’État social suisse, qui se traduisent au niveau constitutionnel par différents objectifs sociaux et mandats d’encouragement, ne sont guère contestés. Les assurances sociales en particulier bénéficient d’un fort soutien au sein de la population. Mais les changements structurels du marché du travail et les changements sociétaux en général modifient les conditions-cadres de l’État social. Les projets de réforme visant à garantir les rentes de vieillesse dans le sillage des changements démographiques et à assurer de nouveaux risques sociaux comme le divorce ou le chômage résultant de la désindustrialisation et de la pression exercée par la mondialisation sur le marché du travail font l’objet de vastes débats sociopolitiques. Il n’est pas toujours aisé de trouver des compromis capables de réunir une majorité. Les groupes sociaux les plus touchés par la restructuration de l’État social sont les plus démuni·e·s, tels les bénéficiaires de l’aide sociale et de rentes d’invalidité ainsi que les chômeurs et chômeuses de longue durée, qui sont confronté·e·s à une baisse des prestations et, en particulier, à un durcissement des conditions d’éligibilité.
Références
Cattacin, S. (2006). Retard, rattrapage, normalisation. L’État social suisse face aux défis de transformation de la sécurité sociale. Études et Sources, 31, 49-78.Kaufmann, F.-X. (2012). European foundations of the welfare state. New York : Berghahn.
Möckli, S. (2012). Den schweizerischen Sozialstaat verstehen : Sozialgeschichte, Sozialphilosophie, Sozialpolitik. Glarus : Rüegger.