Sanctions pénales
Il existe deux catégories de sanctions pénales : les peines d’une part et les mesures d’autre part. Les premières ont pour vocation de « punir » l’acte commis dans le passé et sont donc généralement à quantum déterminé, alors que les secondes sont destinées à prendre en charge de manière particulière un délinquant·e particulier et sont dès lors à durée indéterminée, puisqu’elles seront maintenues aussi longtemps que nécessaire. C’est ainsi que si la peine ne suffit pas (notamment par ses effets intimidateurs et resocialisant) à écarter le danger qu’une personne ne recommette une infraction grave, et qu’elle nécessite un traitement ou qu’elle représente un risque trop important pour la société, les juges prononceront, en plus de la peine, une mesure thérapeutique institutionnelle ou un internement. Contrairement à ce que semble souvent croire le public, ces mesures n’ont dès lors aucun caractère punitif, puisqu’elles ne se centrent pas sur le passé de la personne et sur l’infraction qu’elle a commise, mais sur son avenir et celui de la société.
En matière de peines, la Suisse connaît, depuis le 1er janvier 2018, des peines pécuniaires (prononcées en jours-amende, soit un nombre de jours correspondant au degré de culpabilité de l’individu, chaque jour correspondant à un certain montant d’argent qui dépend de la situation financière de cet individu), des peines privatives de liberté (dont la durée est également fonction du degré de culpabilité et dont l’exécution peut s’effectuer sous la forme d’un enfermement en établissement pénitentiaire, sous la forme d’arrêts domiciliaires sous surveillance électronique ou sous la forme de travaux d’intérêt général) et des amendes (dont l’unité est le franc et dont le montant dépend de la faute commise et de la situation personnelle du·de la condamné·e). Par ailleurs, les peines pécuniaires et les peines privatives de liberté peuvent, si les conditions en sont réalisées, être assorties d’un sursis ou – mais pour les peines privatives de liberté seulement – d’un sursis partiel, soit d’une suspension totale ou partielle sous condition de ne pas recommettre une nouvelle infraction durant un certain délai d’épreuve. Le sursis est dès lors une institution – dont le rôle premier est la dissuasion – consistant à placer au-dessus de la tête de la personne condamnée une épée de Damoclès, épée qui tombera à la moindre incartade de celle-ci.
En matière de mesures, la Suisse connaît aujourd’hui les mesures dites thérapeutiques institutionnelles (traitement des troubles mentaux, traitement des addictions, mesures applicables aux jeunes adultes), les mesures d’internement (ordinaire ou à vie), les traitements ambulatoires (soit l’équivalent du traitement des troubles mentaux et du traitement des addictions, mais sous la forme d’un traitement non-institutionnel) et les « autres mesures » (dont font notamment partie la confiscation, l’expulsion, l’interdiction d’exercer une activité, l’interdiction de contact et l’interdiction géographique).
L’une des questions les plus intéressantes, en matière de sanctions pénales, est de savoir si le but principal assigné à ces sanctions – soit le fait de juguler la criminalité – est atteint ou non. Les recherches criminologiques montrent, d’une part, que les effets d’une politique d’élimination (expulsion, peine de mort ou neutralisation par des enfermements à vie) sont extrêmement modestes, puisque la très large majorité des infractions sont commises par des délinquant·e·s primaires – qui n’auraient donc pas pu faire préalablement l’objet d’une élimination – et que, pour certaines infractions (dont font partie le trafic de stupéfiants, les homicides par des tueur·euse·s à gages, voire les actes dits « terroristes »), les criminel·le·s éliminé·e·s sont immédiatement remplacé·e·s sur le marché du crime par d’autres personnes. D’autre part, il a pu être démontré que des sanctions pénales démesurées peuvent conduire à une augmentation de la criminalité, plutôt qu’à la diminution logiquement attendue selon l’idée de l’effet dissuasif ; c’est ce que l’on appelle le phénomène de brutalisation, soit l’exemple négatif montré par l’État qui désinhibe les citoyen·ne·s. C’est ainsi que l’on a pu observer que lorsque l’État procède lui-même à des exécutions capitales, il désinhibe les justiciables en les confortant dans l’idée que la violence est une manière adéquate de résoudre les conflits, accroissant par là le nombre de crimes violents ; les homicides ont ainsi augmenté après la réintroduction de la peine de mort dans certains États américains, alors qu’ils n’ont pas évolué dans les États voisins n’ayant pas retouché leur système de sanctions. De la même manière, il n’est pas impossible que dans les États connaissant la prison comme peine centrale de leur système pénal, certains parents reproduisent le système étatique et enferment leurs enfants dans leur chambre lorsque ceux-ci ou celles-ci font des bêtises, commettant ainsi des crimes de séquestration…
C’est ainsi que s’il peut être démontré qu’au bas de l’échelle des sanctions l’effet dissuasif semble bel et bien exister (p. ex. en matière de circulation routière où les conducteur·trice·s respectent largement les limitations de vitesse et l’obligation de porter la ceinture de sécurité), il en va tout différemment au haut de cette échelle où l’effet dissuasif fait place à un effet inverse d’incitation au crime appelé brutalisation.
Références
Killias, M., Kuhn, A. & Dongois, N. (2016). Précis de droit pénal général (4e éd.). Berne : Stämpfli.Kuhn, A. (2009). Peut-on se passer de la peine pénale ? Un abolitionnisme à la hauteur des défis contemporains. Revue de Théologie et de Philosophie, 14(2), 179-192.
Kuhn, A. (2010). Sanctions pénales : est-ce bien la peine ? Et dans quelle mesure ? Charmey : Les Éditions de l’Hèbe.