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Participation

Gregor Husi

Version originale en allemand


Première édition: December 2020

La notion de participation (Teilhabe en allemand) est régulièrement utilisée dans des débats scientifiques, politiques et journalistiques sur la justice, l’intégration et l’inclusion, mais généralement sans référence à une définition précise. On ne peut toutefois pas considérer cette notion comme un terme fondamental de la philosophie, des sciences politiques, de la sociologie, de la pédagogie spécialisée, de l’éducation sociale ou du droit. Néanmoins, le terme est de plus en plus utilisé. Il a un sens plus strict et un sens plus large. Le sens plus strict découle de l’emploi fréquent des termes de Teilnahme et de Teilhabe, signifiant tous deux « participation » en français. Tandis que Teilnahme renvoie à la pratique sociale, à un contexte d’action auquel il est possible de participer, Teilhabe se rapporte à la possession, à un avoir, à un bien qui découle de ladite participation. En participant, un individu reçoit et a (haben) une part (Teil) de ce qui est distribué. Si l’individu a une part importante, il ou elle peut a fortiori prendre part (teilnehmen). Le sens plus large de Teilhabe, quant à lui, englobe les deux aspects, la participation en tant que telle et la possession ultérieure. Il correspond en grande partie au concept d’inclusion, à condition que son sens ne se limite pas à Teilnahme (participation stricto sensu). Teilnahme est la traduction littérale de participation. Toutefois, Teilhabe signifie aussi participation en anglais et en français.

Le double sens du terme Teilhabe reflète aussi bien l’acte que le résultat de la distribution. Par conséquent, dans la conception de l’équité de distribution, une distinction est établie entre l’équité des règles et celle des résultats. La participation (Teilhabe), qu’elle soit entendue dans un sens plus strict ou plus large, laisse ouverte la question des objets de la distribution. Il s’agit donc de déterminer les biens (capitaux, ressources, moyens) dont la répartition différenciée entre les personnes constitue la structure sociale d’une société, en répondant aux questions suivantes : Quels sont les biens que les personnes souhaitent posséder ? Qui a accès à ces biens et dans quelle mesure ? Pierre Bourdieu distingue les capitaux économique, culturel, social et symbolique, c’est-à-dire le revenu et le patrimoine, la formation, le réseau de relations et le prestige. Une discrimination (négative) peut être fondée sur l’absence de biens. Permettre la participation (au sens de Teilnahme et de Teilhabe) satisfaisante de tous les membres de la société est donc lié à la politique de lutte contre les discriminations.

La philosophie établit les origines de sa réflexion sur la participation aux théories platoniciennes. Le terme en grec ancien methexis est généralement traduit en latin par participatio et en allemand par Teilhabe et décrit le rapport entre les objets concrets et les idées ainsi que le rapport des idées entre elles. Cependant, l’intérêt philosophique pour la participation comprise dans ce sens a presque entièrement disparu. Dans le même temps, la philosophie moderne traite très souvent de questions concernant la participation (aux sens de Teilnahme et de Teilhabe) dans le contexte de l’équité, mais pas sous cette dénomination.

En droit, ce sont les droits de participation (Teilhabe) qui sont abordés. La genèse historique élaborée par Thomas H. Marshall est, dans ce contexte, souvent invoquée : les droits à la liberté individuelle du XVIIIe siècle, les droits de participation politique du XIXe siècle, les droits aux prestations sociales du XXe siècle. Dans la littérature spécialisée sont qualifiés de droits de participation parfois les droits politiques, parfois les droits sociaux.

Dans la science émergente qu’est le travail social, une attention croissante est portée à la participation (Teilhabe), bien que les théories du travail social n’incluent guère la participation comme un concept de base. Toutefois, Tilly Miller intègre la participation dans la définition de l’objet même du travail social. Dans sa publication Inklusion – Teilhabe – Lebensqualität (Inclusion – Participation – Qualité de vie), publiée en 2012, elle note que la participation aux ressources matérielles et immatérielles présuppose l’inclusion dans des systèmes. Selon elle, l’inclusion et la participation sont des conditions préalables à la qualité de vie fondée sur la dignité humaine et la prise en compte des besoins.

La plus grande attention portée à la question de la participation concerne celle des personnes en situation de handicap. Or le concept de participation (Teilhabe) n’est utilisé ni dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 ni dans la Convention européenne des droits de l’Homme de 1950. Aussi la référence à la participation dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées (Convention on the rights of persons with disabilities) est-elle d’autant plus importante. Cette Convention a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies fin 2006 pour entrer en vigueur en mai 2008. Elle précise, d’entrée de jeu, au paragraphe e), que le handicap résulte « de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». À la lettre y) est stipulé l’objectif de vouloir contribuer « à remédier au profond désavantage social que connaissent les personnes handicapées » et de vouloir « [favoriser] leur participation, sur la base de l’égalité des chances, à tous les domaines de la vie civile, politique, économique, sociale et culturelle, dans les pays développés comme dans les pays en développement ». L’un des principes fondamentaux est « la participation et l’intégration pleines et effectives à la société » et ceci « dans tous les domaines ».

Le gouvernement fédéral allemand donne le titre de Teilhabebericht (rapport de participation) à son étude approfondie de la « situation des personnes handicapées ». Le concept de participation est tout aussi central dans le « rapport général sur la pauvreté et la richesse ». La loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (la Constitution allemande) ne connaît cependant pas la notion de Teilhabe, pas plus que la Constitution fédérale suisse. L’administration fédérale suisse distingue néanmoins la participation politique, économique, sociale et culturelle.

La notion de participation constitue, en outre, une base normative à de nouvelles conceptions de la société. Gerd Grözinger, Michael Maschke et Claus Offe appellent leur modèle d’un nouvel État-providence une « société participative » (Teilhabegesellschaft). Ce modèle prévoit que les citoyennes et citoyens reçoivent, à leurs 18 ans, un capital de départ de 60 000 euros, un héritage social financé par l’impôt sur la fortune et les successions. Sur un plan déontologique, les auteurs légitiment ce modèle par le fait que dans une société libérale fondée sur le principe de l’égale liberté réelle, l’introduction d’un revenu de base s’impose dans les conditions économiques actuelles. Par conséquent, écrivent-ils, l’introduction de droits civiques économiques est souhaitable car ils contribueraient à résoudre des problèmes sociaux majeurs (accès inégal à la formation, chômage, criminalité, etc.). Le livre Wege in die Teilhabegesellschaft publie, quant à lui, une quarantaine de contributions collectées en 2015 par la Fondation allemande Heinrich Böll sous le mot-clé de l’inclusion. Ces contributions explorent les « Voies vers une société participative ». Ces voies ne sont, de loin, pas limitées à une dimension matérielle. Par exemple, la distinction faite par Iris M. Young entre external et internal inclusion est traduite par participation d’accès et participation de cogestion (Zugangs- und Mitwirkungsteilhabe). Enfin, le modèle d’une société de la participation ou de l’engagement (Beteiligungsgesellschaft) de Gregor Husi, proposé dans le sillon de cette discussion, entend la participation à la fois comme l’acte de « prendre part » (Teilnahme) et d’« avoir sa part » (Teilhabe). Sa définition de la participation englobe l’empathie (Anteilnahme) vécue dans l’expérience ainsi que l’appartenance (Teilsein) en tant qu’interaction réuissie du juste et du bien, des valeurs personnelles et des normes sociales. Conformément à ce modèle philosophique et sociologique, dont les normes se fondent sur la Déclaration du Millénaire des Nations Unies, les sociétés modernes se sont donnés pour tâche de concrétiser les valeurs fondamentales de liberté, d’égalité, de sécurité, de tolérance, de solidarité et de paix.

Références

Grözinger, G., Maschke, M. & Offe, C. (2006). Die Teilhabegesellschaft : Modell eines neuen Wohlfahrtsstaates. Frankfurt a.M. : Campus.

Heinrich-Böll-Stiftung (Hrsg.) (2015). Inklusion : Wege in die Teilhabegesellschaft. Frankfurt a.M. : Campus.

Husi, G. (2012). Auf dem Weg zur Beteiligungsgesellschaft. In M. Lindenau & M. Meier Kressig (Hrsg.), Zwischen Sicherheitserwartung und Risikoerfahrung : Vom Umgang mit einem gesellschaftlichen Paradoxon in der Sozialen Arbeit (S. 75-119). Bielefeld : transcript.

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