Chercher dans le dictionnaire

Politique économique

Yves Flückiger, Pierre Kempeneers


Première édition: December 2020

La politique économique est un champ particulier de la politique qui s’intéresse aux interventions des pouvoirs publics (État, administrations, banque centrale, entités territoriales) sur l’activité économique au sens large, afin de favoriser la croissance économique, le plein emploi, mais également la justice sociale. La perspective poursuivie lors de ces interventions consiste à corriger les déséquilibres macroéconomiques que sont le chômage, l’inflation ou le déficit des finances publiques.

Selon Richard Musgrave, l’intervention des pouvoirs publics dans l’économie devrait poursuivre trois objectifs primordiaux. À savoir : l’allocation des ressources, la stabilisation de l’activité économique et la redistribution des revenus. Ces trois objectifs sont mis en œuvre par la politique économique qui veille à assurer le meilleur état possible de l’économie en utilisant principalement les instruments budgétaires et monétaires.

Cette vision interventionniste de la politique économique, mettant en évidence l’importance de l’État central et des pouvoirs publics dans l’atteinte d’une meilleure allocation des ressources, d’une redistribution plus équitable des richesses, ainsi que dans l’atténuation des déséquilibres macro-économiques, rompt définitivement avec le courant de pensée antérieur, porté par David Ricardo et Adam Smith et sa célèbre main-invisible.

Dès la première moitié du XIXe siècle, on assiste au développement des politiques économiques susceptibles de corriger un ordre économique qui n’est plus, comme par le passé, pensé comme naturellement équilibré. En Suisse, du fait de son attachement au libéralisme, l’organisation des compétences étatiques entre l’État fédéral et les vingt-deux cantons souverains, telle que prévu par la 1ère constitution fédérale de 1848, privilégie largement la politique d’ordonnancement (définition de conditions-cadres) et la politique structurelle dans le secteur agricole pour en améliorer son fonctionnement à moyen et long terme. Cette vision libérale est renforcée par les spécificités du système politique suisse, à savoir son fédéralisme et ses influentes fédérations nationales que sont l’Union suisse du commerce et de l’industrie (USCI) et l’Union suisse des arts et métiers (USAM), qui restreignent fortement la marge de manœuvre des autorités fédérales.

L’industrialisation de la Suisse et l’intégration au marché mondial, facilitée par l’essor des chemins de fer dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ouvrent une nouvelle étape interventionniste pour la politique économique suisse, visant à réduire les obstacles à l’exportation tout en protégeant le marché intérieur contre la concurrence internationale. C’est durant cette période de croissance économique et démographique que de nouvelles formes de pauvreté jugées particulièrement graves voient le jour et que progresse l’idée selon laquelle l’État, en tant que représentant des intérêts généraux, doit intervenir dans la vie économique en faveur des groupes socialement défavorisés.

À la fin du XIXe siècle, la Suisse compte plus d’un millier de caisses de secours mutuels qui offrent, en échange d’une prime, une protection modeste contre les conséquences d’un accident ou d’une maladie. Dans le même temps, l’État fédéral impose des directives spécifiques en matière de protection des travailleurs et travailleuses en limitant la durée légale du travail et en protégeant les enfants. Ces deux points constituent des précurseurs importants des assurances sociales modernes avec l’adoption de la loi sur l’assurance-maladie et accidents en 1912, la création de l’Office fédéral des assurances sociales en 1913 et de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (SUVA) en 1918.

Lors du premier conflit mondial, les interventions étatiques, sous forme de mesures protectionnistes (taxes douanières, limitations d’importation), se multiplient en faveur du marché intérieur et demeurent nombreuses durant l’entre-deux-guerres en raison d’une conjoncture très instable et d’une croissance intérieure erratique. Sur le plan social, la faiblesse de l’assistance, la pénurie alimentaire et la hausse des prix aggravent les difficultés sociales et préparent le terrain de réformes sociales d’envergure.

Au début de la grande dépression des années 1930, diverses mesures de politiques économiques sont décidées – les unes durables comme l’introduction du secret bancaire (loi de 1934 sur les banques), les autres plus éphémères, comme l’interdiction d’ouvrir ou d’agrandir des succursales et des grands magasins (1933-1945). C’est dans ce climat de difficultés sociales induit par la grande dépression que s’organisent également les caisses de pension, l’assurance-chômage et la prévoyance vieillesse.

Dès 1939, l’économie de guerre implique un interventionnisme assez poussé de l’État dans les domaines de l’alimentation, des transports, du travail et de la prévoyance. Les problèmes dans le domaine des assurances sociales, la santé et l’assistance aux réfugié·e·s sont ainsi pris en charge par l’Office de guerre pour la prévoyance. Cette période est également marquée par des développements de la sécurité sociale au plan fédéral, l’introduction d’un régime d’allocations pour perte de salaire et de gain en étant le signe le plus visible. C’est en 1947 que la loi sur l’AVS – 1er pilier de la prévoyance vieillesse et pièce maîtresse de la sécurité sociale – est votée.

Conséquence directe de la reconstruction d’après-guerre, les années 1950 et 1960 connaissent une conjoncture exceptionnellement dynamique caractérisée par un déve­lop­pe­ment massif des infrastructures. La Suisse adopte progressivement le principe du libre-échange à travers son adhésion à plusieurs organisations telles que l’Organisation de coopé­ration et de développement économiques (OCDE), l’Association européenne de libre-échange (AELE) et l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT).

La crise des années 1970 frappe plus durement la Suisse que les autres pays membres de l’OCDE et ouvre la voie aux partisan·e·s de la politique économique néolibérale, notamment en raison de l’inefficacité des politiques monétaires et budgétaires interventionnistes inspirées par l’économiste britannique John Maynard Keynes et ses disciples, qui visaient à stabiliser l’activité économique. Des réformes de la politique économique suisse dans le sens d’une large dérèglementation du marché et une limitation des compétences de l’État sont ainsi proposées. On relève en particulier la limitation des dépenses de l’État, un système fiscal qui favorise la croissance, ainsi qu’une politique sociale mieux ciblée en raison de mécanismes de redistribution jugés trop larges. Une révision des dispositifs des assurances sociales est ainsi préconisée et toute couverture dépassant le minimum vital est renvoyée au domaine de la prévoyance privée. C’est également à cette période que la fondation Avenir Suisse, think tank largement soutenu par les entreprises suisses, développe les idées pour le futur de la Suisse.

Les enjeux actuels et futurs de la politique économique suisse sont décrits dans le Livre blanc Suisse d’Avenir Suisse, paru en 2018 sous forme de six esquisses d’avenir en prise directe avec les préférences du peuple suisse en matière, d’une part, de centralisation de l’activité économique suisse (interventionnisme étatique versus libre fonctionnement du marché) et, d’autre part, d’intégration de la Suisse dans les instances supranationales (intégration faible et autonomie accrue versus intégration forte et autonomie réduite). Dans les années à venir, ces préférences auront des répercussions sur toute une série de domaines tels que, par exemple, la politique migratoire, la politique financière et monétaire, la règlementation du marché intérieur, la souveraineté, la politique du marché du travail ou encore les politiques sociales et de redistribution des richesses.

En privilégiant la voie de la centralisation et de l’intégration, en particulier en regard de l’Union européenne, ce qu’on appelle également la voie « scandinave », on assisterait vraisemblablement à un développement important des politiques sociales et de redistribution ainsi qu’à un retour de l’État-providence par rapport à la situation actuelle. À l’inverse, en privilégiant la voie de la décentralisation et de l’autonomie, voie également appelée de « l’Oasis globale », on assisterait à une politique sociale et de redistribution des richesses réduite à sa plus simple expression.

Entre ces deux extrêmes, la voie appelée de « normalité européenne », qui privilégie la décentralisation et l’intégration au sein de l’Union européenne, serait neutre du point de vue de la politique sociale et de la redistribution et resterait sensiblement identique à celle qui prévaut actuellement en Suisse.

Références

Bonoli, G. & Bertozzi, F. (Éd.) (2018). Les nouveaux défis de l’État social – Neue Herausforderungen für den Sozialstaat. Lausanne, Bern : Presses polytechniques et universitaires romandes, Haupt.

Deiss, J. & Gugler, P. (2012). Politique économique et sociale. Bruxelles : De Boeck.

Grünenfelder, P. & Schellenbauer, P. (Éd.) (2018). Livre blanc Suisse, six esquisses d’avenir. Zurich : Avenir Suisse.

Retour en haut de page